La leçon européenne de Gaza
Barah Mikaïl
Chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
15 janvier 2009 / Opinión CIDOB, n.º 24
L’offensive lancée par Israël à l’encontre de la bande de Gaza, le 27 décembre dernier, n’est que l’un des trop nombreux épisodes de violence qui ont marqué l’histoire des relations israélo-palestiniennes depuis maintenant plus de soixante ans. Cependant, la violence militaire de l’Etat hébreu, qui avait déjà provoqué plus de 5000 victimes palestiniennes dont un bon millier de morts au bout de trois semaines, aurait pu laisser penser que les réactions internationales seraient vives. Or, il n’en a pas été exactement ainsi. Les Etats-Unis et les membres du Conseil de sécurité de l’ONU échoueront à afficher une communauté de points de vue, la résolution 1860 (8 janvier 2009) étant amputée du moindre mécanisme coercitif. Les chancelleries internationales, dont celles du Moyen-Orient, exprimeront pour leur part les moyens réduits dont elles s’étaient dotées pour parvenir à un arrêt des violences engagées sur le terrain. Quant à l’Union européenne (UE) et à la France, elles se révéleront tout aussi amorphes face à l’Etat hébreu.
On aurait pourtant pu croire que les Européens, treize ans après le lancement du processus de Barcelone (1995), six mois après leur promotion du projet d’une Union pour la Méditerranée (UPM), et trois semaines après avoir annoncé un renforcement de leur partenariat économique avec Israël, trouveraient une oreille attentive à leurs requêtes de la part de ce dernier. C’est pourtant tout le contraire qui a prévalu. Certes, dès les premiers jours de l’offensive, une double mission diplomatique s’est organisée en direction de la région : l’une composée des ministres des Affaires étrangères tchèque, français, et suédois ; l’autre, initiée et menée par le président français Nicolas Sarkozy. A comparer les deux missions, c’est probablement celle menée par le numéro un français qui aura d’ailleurs porté le plus de fruits. Mais ceux-ci resteront pourtant maigres, la demande de mise en place d’un cessez-le-feu sur le terrain ayant été tout simplement balayée d’un revers de la main par les Israéliens. Le Hamas palestinien n’en pensera pas moins, bien évidemment ; mais on ne lui posera même pas la question. Et pour cause : ni les membres de la Troïka européenne, ni la France comme telle, n’ont maintenu de contacts diplomatiques officiels avec cette formation. Une situation regrettable, la « politique de la main tendue » initiée par N. Sarkozy à l’adresse de la Syrie sept mois plus tôt ayant démontré, pour sa part, que le maintien par un pays de canaux diplomatiques, même vers ses pires ennemis, a l’avantage non négligeable de pouvoir se garantir des marges et modalités de composition. Chose bienvenue dans un contexte où Damas, acteur régional clé, a une grande proximité avec le Hamas palestinien et ses alliés politiques.
Faut-il pour autant s’étonner de voir que, ni les Européens, ni les Français ne parviennent à faire le poids dans l’état actuel des choses ? Pas vraiment. La forte inertie des Européens dans les évolutions régionales n’est en effet plus à prouver. On aurait pu croire que la déclaration de Venise (1980), qui insistait sur la nécessaire résolution des conflits israélo-arabes, allait matérialiser une stratégie européenne active en direction de la région. Or, près de trente ans plus tard, il n’en est toujours rien. Non seulement l’UE a fait le choix de fondre son rôle dans le cadre d’un Quartet (USA, UE, ONU, Russie) qui a Washington pour principal déterminant. Non seulement les sommes européennes énormes débloquées par les Européens au titre d’aide et de financement de projets n’a pas eu pour corollaire l’affirmation d’une envergure européenne. Mais de plus, un premier couac européen, intervenu au début de l’offensive contre Gaza, allait souligner – si besoin en était encore – l’échec de l’UE à développer une vision commune sur les évolutions israélo-palestiniennes. La déclaration tchèque du 27 décembre, qui parlait de l’opération israélienne comme étant « défensive plus qu’offensive », même si elle sera rectifiée moins d’une heure plus tard, était en effet loin de pouvoir engager l’ensemble des Européens. Mais la preuve de ce manque de substance de la part des Européens sur la scène proche-orientale ne s’arrêtera pas là. Le déplacement de la Troïka européenne à Jérusalem, ainsi qu’au Caire, dès le 4 janvier, ne portera lui-même des fruits ni d’un côté, ni de l’autre. Les Israéliens rejetant la requête européenne d’un cessez-le-feu ; et les Egyptiens s’opposant à l’idée de l’imposition d’une force d’observation dans la bande de Gaza, ainsi qu’à une levée du blocus de la bande de Gaza. Pourtant, Le Caire ne procédera pas moins, dans un premier temps, à une ouverture des frontières, partielle, furtive, mais effective ; cela sera néanmoins du pour beaucoup à l’ampleur des critiques régionales à son encontre, et n’aurait de toutes manières pu être possible sans un feu vert israélien – et probablement américain – au préalable.
Les Européens étant aussi effacés,peut-on pour autant reporter plus d’espoirs sur la France et le potentiel diplomatique qu’on lui suppose dans la région ? Bien entendu, on ne saurait voir la tournée régionale entreprise par N. Sarkozy aux vues de parvenir à un cessez-le-feu à travers un seul prisme négatif. Si le président français a pu se sentir inutile dans un premier temps, il n’a pas moins réussi, par un retour surprise en Egypte, à mettre au point un « plan franco-égyptien » prévoyant un cessez-le-feu et une levée partielle du blocus sur la bande de Gaza, que l’ONU endossera à son tour à travers la résolution 1860. Cela dit, cette « prouesse diplomatique » ne doit pas être surestimée. Si l’ONU a adopté une telle résolution, elle n’a en effet pas pour autant pu la mettre en application. Et pour cause : les déterminants de la situation actuelle se trouvent côté israélien. Or, ceux-ci, pour des raisons notamment électoralistes (législatives israéliennes en février 2009), conjoncturelles (flottement du pouvoir aux Etats-Unis) et sécuritaires (volonté d’affaiblir le Hamas), sont les seuls à pouvoir décider de la fin de leur action militaire. Loin de toute perméabilité aux requêtes françaises comme européennes. Et loin de tout répondant autre qu’à des pressions américaines. Autant dire que, à travers le drame de Gaza, c’est une fois encore l’inconsistance politique des Européens qui transparaît. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus dramatique dans les circonstances actuelles ; mais cela reste désolant. Quant à l’UPM, elle a prouvé, une fois de plus, la démesure qu’il y a, de la part de certains leaders européens, à concevoir un avenir euro-méditerranéen – et sud-méditerranéen – serein autrement qu’au départ d’une résolution équitable du conflit israélo-palestinien et de ses corollaires régionaux. Un objectif qui demeure à portée de main des Européens ; mais on ne sait pour combien de temps encore…
Barah Mikaïl
Chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)